LOI 69-21 : Dernier tour de vis face à l’épineuse question des délais de paiement ?

La problématique des délais de paiement ne laisse aucun acteur économique indifférent. C’est l’un des maux les plus répandus et semble-t-il communément acceptés par tous. C’est dire que le retard de paiement fait partie des règles du jeu entre commerçants (au sens du code de commerce).

Après plusieurs tentatives qui, force est de reconnaitre, n’ont pas donné les résultats escomptés, le législateur, sous l’impulsion des hautes orientations de sa majesté, remet au-devant de la scène le sujet des délais de paiement.

C’est dans ce contexte qu’a été publié la Loi 69-21 au B.O N°7204 du 15 juin 2023.

D’où L’intérêt de cette étude qui porte sur les nouveautés de ladite loi mais aussi, sur les éventuelles problématiques qui s’y rattachent autant pour le contribuable que pour le législateur.

Historique du dispositif législatif

La législation sur les délais de paiement n’est pas une nouveauté. Une première tentative  a été lancée à travers la loi 32-10 entrée en vigueur le 06 octobre 2011. Celle-ci avait campé le décor et visait à réglementer les délais de paiement convenus entre les commerçants personnes physiques ou morales et les personnes morales de droit public.

Pour dissuader les retards de paiement, elle avait instauré une sanction pécuniaire à l’encontre des contrevenants aux délais de paiement : paiement par le client d’une pénalité de retard calculée au taux Directeur de la Banque Al Maghrib majoré d’une marge fixée par arrêté du ministère de l’Economie et des Finances. Ce qui posait une difficulté pratique dans l’application de cette amende car elle nécessitait, au-delà de la recherche du taux directeur en vigueur, celle de la marge applicable. Et encore pourvu que le principal de la créance soit payé. D’ailleurs, il s’agit d’une problématique parmi tant d’autres que les décideurs ont très vite compris.

En effet,   cette nouvelle législation a très vite montré ses limites. En août 2016, le Dahir n°1-16-128 est venu promulguer la loi 49-15 pour modifier à son tour le code de commerce.

Les principaux apports de cette loi 49-15 ont porté sur :

  • La délimitation du champ d’application : le champ d’application de la loi a été limité aux établissements publics exerçant des activités commerciales en sus des personnes physiques ou morales de droit privé et les concessionnaires de service public. Cette précision a permis d’exclure définitivement les personnes morales de droit public n’exerçant par une activité commerciale de manière habituelle ou professionnelle. Les délais de paiement relatifs à la commande publique étant règlementés par le Décret 2-16-344 du 22 juillet 2016.
  • La computation du délai de paiement pour les établissements publics exerçant des activités commerciales à partir de la date de constatation du service et non à la date de réception des biens ou services.
  • Le calcul des délais à partir du mois suivant la date des transactions lorsque les parties ont convenu d’effectuer des opérations sur une période inférieure à un mois.
  • L’application d’une indemnité de retard au lieu de pénalité de retard. Le terme « indemnité » étant plus approprié en ces circonstances. L’indemnité vient compenser le manque à gagner du fournisseur en termes de disponibilité. C’est une compensation financière. Quant à la pénalité, il s’agit là d’une sanction pour inexécution d’une obligation qui, à notre sens, ne trouve pas sa place entre commerçants, pour des actes de commerce habituels.

Loi 69-21, quelles nouveautés ?

Les changements apportés par la nouvelle législation sont de taille et devraient susciter l’attention de tous les acteurs. Ils portent dans un premier temps sur l’annulation des indemnités de retard auparavant dues par le client à son fournisseur, au profit d’une amende à verser au Trésor. Ce qui change la donne.

En effet, à partir de l’entrée en vigueur de la loi, et suivant les dispositions transitoires, tout retard de paiement aura des conséquences non négligeables sur la trésorerie.  Il entrainera le calcul et le versement d’amendes selon les modalités suivantes :

Personnes viséesDébut de computation du délaiBase de calculTaux applicable
Personnes physiques ou morales de droit privé ou concessionnaire de service publicDate d’émission de la factureSolde impayé de chaque facture (exclusion des factures inférieures à 10.000 DH)3% pour le 1er mois de retard ; 0,85% par mois ou fraction de mois supplémentaire
Etablissements publics exerçant des activités commercialesDate de constatation du service fait

Aux grand maux, les grands remèdes !

Pour s’assurer du respect de ces nouvelles obligations, le législateur a prévu un dispositif contraignant :

  • une obligation déclarative et de paiement
  • des sanctions pour défaut ou insuffisance dans les déclarations et les paiements de l’amende
  • un droit de contrôle de l’administration fiscale
  • la publication d’une liste annuelle des «mauvais payeurs »

Une obligation déclarative et de paiement :

Les personnes visées par la présente loi seront dans l’obligation de déclarer à chaque trimestre, l’état des factures fournisseurs en retard de paiement. Cet état contiendra, en sus des informations commerciales usuelles, les indications suivantes :

  • Le solde des factures échues et impayées ;
    • Le montant de l’amende pour chaque ligne de facture
    • Le montant des sanctions éventuelles pour retard ou défaut de déclaration

Cet état doit être visé par un commissaire aux comptes lorsque le chiffre d’affaires annuel du commerçant excède 50 Millions de Dh et par un expert-comptable ou comptable agréé si le chiffre d’affaires n’atteint pas ce seuil.

Des sanctions pour les contrevenants :

Il a été instauré des sanctions financières pour le défaut ou retard de déclaration suivant le barème suivant :

Seuil de chiffre d’affaires annuel HTMontant de la sanction DH
Moins de 2 Millions DHHors champ d’application
De 2 millions à 10 millions DH5.000 DH
Plus de 10 millions DH à 50 Millions DH12.500 DH
Plus de 50 Millions à 200 Millions DH50.000 DH
Plus de 200 Millions de DH à 500 Millions DH125.000 DH
Plus de 500 Millions DH250.000 DH

En cas d’inexactitude ou d’insuffisance des informations déclarées, la sanction prévue est de 5.000 DH par ligne de facture.

Il est à préciser que la loi ne fait de distinction entre un retard et un défaut de déclaration. Ces deux infractions sont sanctionnées au même barème. Pour rappel, le retard de déclaration correspond à une déclaration tardive déposée par le contribuable de son propre chef. Le défaut de déclaration est quant à lui, constaté par l’administration fiscale à la suite d’un contrôle (sur pièce ou sur place). L’administration avait pour pratique de les sanctionner différemment.

Droit de contrôle de l’administration fiscale

Pour mieux dissuader les mauvais payeurs, la loi prévoit une possibilité de contrôle sur place, au-delà du contrôle sur pièces qui est d’une évidence au vu de la digitalisation du système de l’administration fiscale et des procédures d’échanges d’information.

Ainsi, lorsque cette dernière constate des manquements, il sera en droit de procéder à un contrôle au siège social ou principal établissement du commerçant. Toutefois, l’administration doit aviser l’entreprise concernée 15 jours avant.

A cette occasion, il sera demandé au commerçant de présenter les documents et justificatifs de ces déclarations et les insuffisances non justifiées seront redressées par l’administration en application des sanctions prévues ci-haut.

Le commerçant dispose d’un droit de contestation de tout ou partie des redressements. Pour cela, il devra :

  • adresser une réclamation à l’administration fiscale dans les 6 mois suivants la mise en recouvrement (émission de l’ordre de recette)
  • à défaut de réponse de l’administration fiscale après expiration d’un délai de 3 mois, ou dans les 2 mois suivants la notification de l’administration fiscale, le commerçant peut saisir le tribunal pour poursuivre son droit de contestation.

Le « name & shame », l’autre arme de dissuasion :

Les retards de paiement ont des conséquences négatives sur la trésorerie voire la survie des entreprises. Dans ce contexte, depuis plusieurs années, la pratique du « name & shame » est venue s’ajouter aux armes dissuasives à la disposition du législateur. Elle consiste à citer publiquement une entreprise non respectueuse de la règlementation.

Avec l’entrée en vigueur de la loi 69-21, l’observatoire des délais de paiement sera en charge de la publication de la liste des entreprises ne respectant pas les délais de paiement légaux tels que prévus par la loi. Cette liste lui sera communiquée annuellement par la DGI. Cette nouvelle disposition, à saluer d’une part, suscite d’autre part des interrogations sur les modalités de publication de cette liste.

Aussi, il est unanime que la réputation est d’une importance capitale. Elle est base de confiance. Toutefois, dans un monde  hyper connecté,  force est de reconnaitre qu’elle est de plus en plus fragile. On se rappelle tous des vagues de boycott  de certaines entreprises marocaines qui n’ont pas été sans conséquences. En effet, cette réputation, une fois entachée avec l’apparition sur la liste de l’observatoire des délais de paiement,  pourrait prendre plusieurs années avant d’être rétablie.

  • Quels seront les critères de classement des commerçants sur cette liste ?
  • y aura-t-il une distinction entre  les très mauvais payeurs (contrevenants chroniques) et les personnes qui sont momentanément en infraction pour cause d’une situation financière défavorable et peut-être même indépendamment de leur volonté (non-paiement par leurs clients) ?
  • Jusqu’à combien d’infractions (et de quel degré) une entreprise verra-t-elle son nom publiée sur cette liste ?

Autant de questionnements parmi tant d’autres !

Afin, il est à noter que certaines dispositions anciennes  demeurent applicables :

  • La fixation d’un délai de paiement de 60 jours à l’absence d’écrit ou 120 jours si convenu entre les parties
  • l’obligation d’information sur les échéances des dettes fournisseurs (mention sur le rapport de gestion) et le contrôle de concordance de ces informations par le commissaire aux comptes.

Aussi, il est exclu du champ d’application de la nouvelle loi, les commerçants dont le chiffre d’affaires annuel hors Taxe sur la valeur ajoutée est inférieur à 2 Millions ainsi que les transactions portant sur montant inférieur à 10.000 TTC.

Afin de mieux préparer les acteurs économiques à cette nouvelle donne, il est prévu d’échelonner l’application de ces nouvelles dispositions selon la taille des entreprises et suivant l’échéancier qui suit :

Chiffre d’affaires annuel HTDate d’entrée en vigueur
De 2 à 10 Millions de DH1er janvier 2025
De 10 à 50 Millions de DH1er janvier 2024
Plus de 50 Millions DHDate publication au BO (Depuis ce 15 juin 2023)

Compte tenu de l’implication de l’administration fiscale dans ce dispositif législatif notamment son droit de contrôle, ce nouveau texte va au-delà de la législation des actes de commerce et incruste l’administration fiscale dans les relations entre commerçants pour la sauvegarde des intérêts économiques nationaux.

Loi 69-21 : quelles implications sur l’organisation interne des entreprises ?

Les conséquences de la nouvelle législation sur les délais de paiement ne sont pas que financières. En effet, pour s’assurer du respect du dispositif législatif et de la régularité de leurs déclarations, les commerçants devront renforcer leur dispositif de suivi de leurs opérations.

Un état comptable tel que la balance âgée des dettes et des créances, jadis accessoire et très souvent négligé, devient impératif pour faciliter la préparation des déclarations trimestrielles et annuelles. Cependant il faudrait que ce dernier soit bien paramétré pour assurer l’exhaustivité et l’exactitude des informations produites sur les échéances des dettes et des créances.

Les logiciels de comptabilité dans le marché ne fournissent pas les mêmes informations quant à l’échéance des dettes et des créances. Sur certains logiciels, l’échéancier est calculé à partir de la date de facture. Sur d’autres, il est calculé en fonction d’un délai paramétré en avance. Pour d’autres logiciels, une compensation est effectuée entre les factures et les règlements, ce qui ne permet pas d’avoir une bonne lecture du solde impayé.

En définitive, une attention devrait être portée sur le mode de paramétrage et une analyse préalable de la balance âgée devrait être effectuée de façon extracomptable avant dépôt de chaque déclaration.

L’équipe cabjob.ma !

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